Episode 1 : Les Cuistots Migrateurs
Voyage culinaire engagé : Les Cuistots Migrateurs ouvrent les portes de leur traiteur solidaire et vous invitent à la découverte !
La saison 2 du podcast « Entrez, Plat, Dessert », le podcast en immersion dans les cuisines des chefs réalisé avec Business of Bouffe, démarre avec un épisode riche en saveurs et en sens. La journaliste Audrey Largouët a visité Les Cuistots Migrateurs, un traiteur solidaire basé à Montreuil qui emploie des chefs réfugiésvenus de Syrie, du Népal, du Bangladesh ou du Sénégal. Un épisode qui mêle cuisine, engagement et humanité — et qui prouve qu’en cuisine, l’intégration passe d’abord par le goût.
Louis Jacquot, cofondateur, nous guide dans les 500 m² de leur laboratoire, où des milliers de pièces cocktails, mezzés (comme le Muhammara syrien) et plateaux repas sont produits chaque jour.
Ecoutez l’épisode ici 👇🏼
Du Labo à l’Assiette : Qualité, Volume et Diversité 💡
La carte des Cuistots Migrateurs est à 60-70% végétarienne. L’approvisionnement doit donc être à la hauteur des volumes traités (jusqu’à 25 000 pièces/jour).
Les clés de la production :
- Matières premières internationales : L’économat est rempli de produits secs du monde (Freekeh syrien, tamarin, épices…) utilisés pour des plats authentiques comme la Salade Chana bangladaise.
- Maîtrise des volumes : L’exigence sanitaire force l’entreprise à utiliser des ovoproduits pour la production de masse de plats comme le Kuku (omelette iranienne), garantissant hygiène et efficacité.
- Origine France et optimisation : Les viandes sont exclusivement d’origine France. Pour gagner du temps sur le taillage des légumes (activité intense), l’équipe intègre des produits de 4ème gamme (légumes déjà préparés), permettant de se concentrer sur les finitions des pièces.
- Goût et générosité : Le chef de partie froid, Babs (Sénégal), témoigne de l’importance de la qualité des produits et de la gestion des volumes. En cuisine, l’ADN est la générosité et le partage, en offrant des doses justes et des expériences gustatives variées.
Un Tremplin vers l’Intégration et la Réussite 🫂
L’engagement des Cuistots Migrateurs va au-delà de l’assiette. L’entreprise est un véritable tremplin professionnel :
- L’École des cuistots migrateurs : L’association a formé 350 personnes réfugiées au métier de commis de cuisine depuis 2020, avec un taux de retour à l’emploi de plus de 70%.
- Un emploi pérenne : Les chefs réfugiés sont employés en CDI, et participent activement à la création de la carte en apportant leurs recettes et conseils. Babs, par exemple, est passé de commis à chef de partie.
👉 Pour Louis, le message aux employeurs est clair : « Foncez, réfléchissez pas. C’est des personnes qui ont tellement à cœur de travailler, de s’intégrer, qui en veulent. »
Le podcast est également disponible sur les différentes plateformes d’écoute :
👉 Spotify
👉 Deezer
Et pour aller plus loin, nous avons créé un livret d’inspiration qui met en lumière les saveurs d’ailleurs, tiré de cet épisode avec les Cuistots Migrateurs. Téléchargez le sans attendre !
Transcription de l'épisode 1 Saison 2 l Les Cuistots Migrateurs
VOIX OFF : Aujourd’hui, tout le monde connaît les grands classiques de la cuisine japonaise comme la sauce soja ou les ramens. Les chefs s’inspirent de ces ingrédients venus d’ailleurs pour faire glisser les frontières de nos gastronomies entre influences et fusions. Mais si je vous dis salade chana, Freekeh, ou cuisine syrienne, tibétaine ou bangladaise… il est plus difficile de savoir à quoi s’attendre dans l’assiette. Ce sont ces gastronomies que je vous propose de découvrir ensemble.
Bonjour, je suis Audrey Largouët et aujourd’hui, on a rendez-vous dans une petite rue de Montreuil, en proche banlieue parisienne, où se trouve un traiteur pas comme les autres. Ici, les gastronomies du monde se croisent, au cœur d’un lieu à la fois solidaire et engagé qui porte le nom des Cuistots Migrateurs.
Audrey
“Livraison – sonnez s’il vous plaît.” (Sonnerie) Bonjour.
Louis
Bonjour, bienvenue chez Les cuistots Migrateur.
Audrey
Donc, Louis, c’est ça ?
Louis
Louis, cofondateur du projet des Cuistots Migrateurs, qui est un traiteur solidaire qui existe depuis 2019. Et le projet, c’est qu’on emploie en CDI des chefs réfugiés et qu’on propose leur recette du monde, de Syrie, Iran, Népal, etc, pour leur permettre de s’intégrer et de porter un regard un peu nouveau et positif sur la migration.
Audrey
Alors quel est le programme pour aujourd’hui ?
Louis
On va faire un petit tour du labo. On est sur le quai de chargement-déchargement et on va s’habiller pour aller voir ce qui se passe en cuisine avec une magnifique veste, une charlotte et des protège-chaussures, puisqu’on a des règles assez strictes d’hygiène. Je vous invite à enfiler ce magnifique déguisement. Je vais faire pareil.
VOIX OFF : Charlotte sur la tête, ma veste est boutonnée et me voilà prête. Depuis 2019, du lundi au vendredi, les cuistots migrateurs confectionnent des pièces cocktails, des mezzés, et des plateaux repas. Les commandes sont préparées la veille pour le lendemain et pas question d’improviser sur les quantités, quand les chefs préparent du houmous, c’est par dizaine de kilos !
Audrey
Là, ça y est, on est équipé.
Louis
On va pouvoir passer dans la partie production.
Audrey
Vous êtes combien en tout ?
Louis
On a une quarantaine aujourd’hui et environ une quinzaine en production. Alors, on va passer dans la partie labo. On a environ 500 mètres carrés d’espace de production, donc avec toute une marche en avant à respecter, évidemment, avec différents espaces de stockage. On a l’économa, on a une chambre froide de légumes, on a une chambre froide de BOF, enfin, un beurre oeuf fromage, on a une chambre froide de viande et poisson. Ça ne doit évidemment pas se mélanger. À ce stade, les ingrédients sont bruts.
Audrey
Économa, c’est quoi ?
Louis
L’économa, c’est tout ce qui est sec. Produit sec d’épicerie, les huiles, le beurre clarifié, le soja, les pois chiches, le Freekeh, le blé vert fumé, toutes les farines qu’on utilise, farine de pois chiches, farine de blé, évidemment, etc. Donc, on a beaucoup de produits du monde, forcément, qui nous permet évidemment de faire nos recettes qui viennent encore une fois des pays de nos chefs. Donc, Syrie, Iran, Népal, Afghanistan, Bangladesh, Sénégal, Tibet, Sri Lanka. Et j’espère n’avoir oublié personne.
Donc là, la chambre froide, légumes, fruits et légumes. Poivrons, concombre, légumes d’été, forcément. On a une salade de carottes et choux rouges aussi, de Syrie, des légumes sautés au zaatar, à la syrienne. Je pense que la majorité est déjà en production.
B.O. F. Beurre, oeuf, fromage. Beaucoup, beaucoup de yaourts dans nos cuisines, notamment la cuisine syrienne qu’on fait beaucoup. On fait beaucoup de mezzés, donc on utilise beaucoup de yaourt pour ces mezzés. Du Moutabal d’aubergine, du Moutabal de betteraves en hiver, du Moutabal de butternuts, le houmous aussi. Beaucoup d’œufs aussi, puisqu’on fait un kuku, qui est une recette iranienne. Kuku, ça veut dire œuf. C’est comme une frittata un petit peu, et qui marche très bien en pièces de cocktail. Au début, on utilisait des œufs frais. On utilisait parfois des dizaines et des dizaines, voire, c’est déjà arrivé, plusieurs centaines sur une journée. Aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on n’a plus le droit de faire. On est dans un laboratoire qui est un agrément sanitaire, donc on a vraiment des exigences qui sont fortes en termes d’hygiène, traçabilité.
Il y a des choses qu’on ne peut pas faire. La législation sur les œufs est assez stricte, parce que problématique sur la salmonelle, les contaminations. Aujourd’hui, on utilise des des ovoproduits, ce qui nous garantit cette hygiène. Elle nous permet aussi quand même plus facilement de produire des dizaines de plaques de kuku quand on doit, quand on veut le faire.
Audrey
Est-ce que tu peux expliquer ce que c’est que les ovoproduits ?
Louis
Oui, au lieu d’avoir un œuf coquille, on va avoir un bidon de jaune d’œuf ou de blanc d’œuf ou un mélange. Nous, on utilise les trois selon les préparations qu’on fait. Évidemment, quand on fait un kuku, qui est comme une omelette, on va utiliser un Quand on fait de la pâtisserie, on va utiliser régulièrement des jaunes d’œufs. C’est très usité dans le métier.
Audrey
C’est un gain de temps ?
Louis
Oui, complètement.
Je continue. Là, viande. C’est toujours en flux tendu, la viande. On a un petit peu de poisson, on travaille assez peu le poisson, on a un petit peu de saumon quand même. On est en viande exclusivement viande France, pour autant le poulet que la viande bovine et agneau.
Audrey
Sur quels critères, tu as sélectionné tes fournisseurs ?
Louis
L’origine France, déjà, c’était un critère qu’on voulait garder. La réactivité aussi, le volume, et puis une qualité aussi assez constante, parce qu’on ne peut pas… C’est très important, encore une fois, on travaille des volumes qui sont importants, et surtout dans des périodes comme en ce moment, qui est la saison du traiteur.
Ici, on est en légumerie. C’est Bichnu, qui est avec nous depuis 2018 maintenant, qui qui est chef népalais et qui est le chef de partie de la légumerie. Donc, c’est l’endroit où on va commencer à nettoyer les légumes, les fruits, les décontaminer avec une solution vinaigrée. Et on va commencer le travail de taillage pour qu’ensuite, ça puisse être utilisé et transformé. C’est ultra important chez nous, parce qu’il y a beaucoup, beaucoup de transformations de légumes. On a une carte qui est à plus de 60, voire 70 pour cent végétarienne. Et puis, en fait, toute la chaîne commence là. Il faut envoyer pour que derrière, ça puisse produire dans les temps.
Audrey
Bishnu, je peux te demander ce que tu es en train de préparer ?
Babacar
Je vais préparer pour la Salade chana et Salade Freekeh.
Louis
Deux recettes: salade Chana, salade Freekeh. Salade chana, une recette du Bangladesh de notre chef Rojot. Et Freekeh est une recette syrienne à base de Freekeh qui est un blé vert, qui a un goût un peu fumé et qu’on agrémente d’herbes et de grenade. Salade chana, c’est une salade de pois chiches avec des concombres, tomates, grenade et une sauce au tamarin qui est une sorte de gousse qui a un goût un peu acide, qui lui fait une sauce un petit peu sucré-salé.
Audrey
Comment les recettes ont elles été choisies pour être sur la carte ?
Louis
Alors, les recettes sont celles de nos chefs. Pardon, des recettes qu’on a travaillées ensemble, qu’on a créées ensemble, et notamment sur la partie sucrée. C’est vraiment l’idée du concept, c’est de de faire participer tous les chefs à la création de la carte, et d’arriver à proposer dans tous nos menus, dans tous nos buffets, dans tous nos cocktails, dans le plateau repas, un voyage à travers les recettes de tous nos chefs. Et tout le monde travaille sur les recettes de tout le monde.
Audrey
Chacun des chefs est dédié à un atelier spécifique ou ils peuvent être polyvalents ?
Louis
La plupart de l’équipe fixe est dédiée à un poste spécifique. C’est une organisation qui est assez logique, assez classique. Sachant que nos commis viennent, pour la plupart d’entre eux, de notre école. Puisqu’on a une école de cuisine, l’École des cuistots migrateurs, qui est une association qui est aussi à Montreuil et qui a formé, depuis 2020, 350 personnes réfugiées au métier de la cuisine, avec vraiment cette vocation de leur permettre de s’intégrer par le travail en cuisine. Et l’essentiel de la brigade est maintenant avec nous depuis neuf ans, huit ans, sept ans. On a des personnes qui sont ultra engagées, ultra fidèles. Et c’est vraiment l’idée. Encore une fois, on les emploie en CDI. L’idée, c’est vraiment de construire quelque chose ensemble et qu’ils soient pérennes parce que ça répond aussi à leurs besoins d’intégration et de stabilité.
Audrey
C’est toujours une grosse activité du coup, les légumes, vu qu’il y a une grande partie de la carte qui utilise des légumes.
Louis
Les légumes, c’est vraiment une grosse activité. On essaye de travailler avec le maximum de légumes frais. On est en train de revoir notre politique d’approvisionnement. Là, pour l’automne, on travaille beaucoup plus en circuits courts et en local. Et on cherche aussi un petit peu des astuces pour pouvoir produire les volumes bien dans les temps et répondre à toutes les commandes. Donc, on travaille un petit peu de produits de quatrième gamme, qui étaient déjà un petit peu transformés. Donc on va travailler, par exemple, des sommités de chou-fleurs. Recevoir des sommités de chou-fleurs plutôt que des chou-fleurs. Voilà, des choses comme ça qui peuvent nous faire gagner du temps pour plutôt consacrer notre énergie à tout ce qui est travail un peu plus minutieux de création des pièces cocktail, par exemple.
Audrey
Vous travaillez aussi des produits surgelés ?
Louis
Il arrive qu’on ait un petit peu de produits surgelés, notamment sur le kuku, donc cette omelette. On utilise parfois des haricots surgelés. On a eu des petits pois aussi, mais l’essentiel de la production est quand même sur des produits frais.
VOIX OFF : Les équipes tranchent, découpent et nettoient au rythme de la musique hindi. Ici, les légumes sont roi et chaque poste sait, grâce à un système informatisé bien rôdé, les quantités demandées : 2kg de grenade pour l’un, 20 kg de carotte pour l’autre, ou encore 7kg de concombre… Je les laisse à leur tâche et file juste à côté, en zone de préparation, retrouver Babacar et son équipe.
Ici, on est dans la zone de cocktails et les zones de préparation froide. C’est là qu’on fait toutes les pièces cocktails. Notre record doit être à plus de 25 000 sur une journée. Donc la salle est petite quand on a des grosses journées. Et on a aussi là… Donc c’est Babs, Babacar, qui est chef sénégalais, qui pilote cette partie pièces cocktails. Et on a Alassane, qui est demi-chef de partie derrière, avec la magnifique toque noire qui aide Babacar et qui s’occupe aussi beaucoup des mezzés. Parce qu’on a beaucoup de mezzé, le houmous que tout le monde connaît, mais des caviars, d’autres caviars, kashpa nem jhan, un caviar iranien d’aubergine. On a même des caviars du Bangladesh. Donc c’est une grosse partie de notre carte, ça fonctionne super bien.
Audrey
Là, on voit qu’il y a un petit cracker sur lequel il y a posé une petite sauce qui est faite à la douille, est-ce que tu peux me le décrire ?
Louis
Muhammara, c’est un mezzé syrien, à base de poivron rouge, qui est mélangé avec du taille nez, donc la mat de sésame, avec de la chapelure, avec de la mélasse de grenade, avec des noix. Ça se dipe comme du houmous. Et nous, on le propose aussi sur un crackers, avec saupoudré de graines de nigel.
Audrey
Les crackers, ça fait partie des petites choses qui sont déjà transformées ou qui sont faites sur place ?
Louis
Les crackers, on travaille avec un artisan d’Île-de-France. Pendant longtemps, on faisait tout, tout, tout, tout, nos fonds de tarte, etc. En tout cas, on arrivait à le faire, mais avec une qualité qui n’était pas assez régulière. Donc, on a préféré s’adresser à des gens qui nous aident et qui nous proposent ces fonds de tarte et ces crackers et qui sont artisans en Île-de-France.
Audrey
Dans votre métier, le goût est tout aussi important que le visuel. Comment vous arrivez à travailler l’aspect esthétique des plats, des pièces ? Dans votre métier, le goût est tout aussi important que le visuel. Comment vous arrivez à travailler l’aspect esthétique des pièces
Louis
On essaye de faire assez simple. Pour nous, le goût est plus important que le visuel. Il faut évidemment que ça plaise aux yeux et c’est la première chose. Mais on préfère faire quelque chose d’un petit peu plus simple, avec un petit peu moins de… Et de travailler plutôt le goût. L’expérience en ayant quelque chose de frais, d’assez généreux, parce que c’est des cuisines, culturellement, c’est quand même des cuisines de générosité et de partage. Donc essayer de garder plutôt ça dans l’ADN des pièces. Et c’est ce travail-là qui est intéressant et qui est challengeant. Babs, on peut t’embêter ?
Audrey
Est-ce que tu peux te présenter ?
Babacar
Moi, je m’appelle Babs. Je suis sénégalais, je travaille chez les Cuistots depuis 2018.
Audrey
Et là, qu’est-ce que tu es en train de faire ?
Babacar
Là, je suis en train de faire le saumon Gravlax. C’est des cubes de saumon qu’on mélange avec la aneth et avec une gelée de Zerest. C’est une épice iranienne. C’est un peu acide, un peu sucré. Ça donne un peu goût de tamarin, mais c’est un peu différent. C’est des choses que je connais ici, avant, je ne connais pas.
Audrey
Quel a été ton parcours de formation ?
Babacar
La cuisine, c’est quelque chose que j’aime bien faire depuis tout petit. Chez nous, c’est une maison familiale, donc quasiment tout le monde cuisine là-bas. Et j’avais aussi au Sénégal, un petit restaurant qui ouvrait que le soir. Et j’ai essayé aussi de faire une petite formation là-bas de cuisine et hôtellerie. Et quand je suis arrivé en France aussi, j’ai continué cette passion.
Audrey
Quelle a été un peu ta progression au sein des cuistots migrateurs ?
Babacar
J’ai fait pas mal de progrès parce que j’ai…Quand j’étais là, j’étais en tant que commis cuisine. J’ai fait pas mal de trucs. Là, je suis chef de partie froid. J’ai fait un peu de progrès. J’ai appris aussi beaucoup de choses ici, parce qu’ici, on peut dire que c’est mondial, quoi parce qu’on a plus de 11 pays différents ou même plus. Donc ça, déjà, c’est un progrès, c’est par rapport à la langue, la communication. Grâce à ici, aussi, j’ai réussi à faire une formation pour avoir le CAP.
Audrey
Qu’est-ce qui a été le plus utile dans ta formation ?
Babacar
Les gestes de base et surtout niveau hygiène, parce que le travail qu’on travaille, ça demande beaucoup d’hygiène en fait. Donc, moi, c’était le truc le plus important et comment aussi gérer certains jours qui sont vraiment compliqués pour nous.
Audrey
Quand tu dis compliqué, c’est d’arriver à enchaîner les volumes ?
Babacar
Exactement. Quand je dis compliqué, c’est quand il y a beaucoup de travail. On envoie plus de 15 000 pièces par jour. C’est énorme.
Audrey
Toi, tu viens du Sénégal. Il y a des plats qui sont sénégalais à la carte. Est-ce que tu as contribué à les mettre sur la carte, à guider sur la recette ?
Babacar
C’est ça.
Babacar
Chaque plat, il y a un tuteur. Par exemple, moi, je suis sénégalais, donc tout ce qui vient de Sénégal ou tout ce qui vient de l’Afrique de l’Ouest, j’écoute, je donne des conseils, ils me donnent des idées. Donc, je participe beaucoup.
Audrey
Est-ce qu’il y a des produits que tu aimes particulièrement cuisiner, notamment sur les légumes ? Est-ce qu’il y a des choses que tu aimes préparer ?
Babacar
Yassa la bo, c’est juste betteraves à râper avec du yaourt et un peu d’épices. Et c’est trop bon aussi.
Audrey
Donc avec les betteraves. Et est-ce que tu es sensible à la qualité des produits ?
Babacar
Oui, franchement, oui. Bah Nous, on a la chance parce qu’ici, j’ai eu la chance qu’on a quasiment des bonnes qualités ici, que ça soit sur des légumes, sur les épices et tout. Franchement. Mais je sais que c’est du frais et je commence à avoir un peu de l’expérience. Dès que je touche certains légumes, je sais que ça, c’est mûr, c’est pas mûr, ça, c’est bon et en goûtant et tout, donc c’est ça qui me fait sentir.
Audrey
Est-ce qu’il y a un ou des plats que tu nous recommanderais sur le menu des cuistots migrateurs ?
Babacar
Je vais vous recommander. Ce sera pas un plat sénégalais, puisque je connais déjà. On peut dire, il y a un plat bangladesh qui s’appelle agneau bunha. C’est une sauce agneau mijotée avec des tomates et tout. C’est une sauce tomate avec du riz blanc. C’est une plat que j’aime bien. Il y a un plat aussi afghan qui s’appelle kabali poulo. C’est du riz avec du raisin, coco, un peu sucré, salé. Ça aussi, j’aime bien.
Audrey
Génial. Merci beaucoup.
Louis
On passe sur la partie dispatch, donc préparation des commandes, des plats. Hello tout le monde. Nous voilà au dispatch, grande pièce où Soubia, Vivek et l’équipe, on va dire, réceptionnent tout ce qui a été préparé en amont. Donc schématiquement, ils vont récupérer 100 kilos de houmous et ensuite, ils vont voir combien de petits pots de houmous ils doivent faire, combien de grandes barquettes de houmous ils doivent faire, etc. Ça, c’est la première étape. C’est une activité qui est vraiment importante dans notre métier parce qu’on a beaucoup de références, il y a beaucoup de commandes, ça prend beaucoup de temps, il faut beaucoup de minutie. Parce que mettre 28 pièces de cocktail sur un plateau, il ne faut pas qu’elles s’abîment au transport. Il faut que ça soit joli aussi. Il y a vraiment une exigence de dressage.
Audrey
Comment avez-vous réfléchi les doses pour les buffets pour limiter le gaspillage alimentaire ?
Louis
Nous, on produit à la commande. Il y a des choses qu’on fait en avance et qu’on stocke et ensuite qu’on utilise. Mais on reçoit des commandes tous les jours. Le matin, on imprime tout ce qu’on va faire, on le produit et c’est livré. C’est un petit peu les ordres de grandeur. Un cocktail apéritif autour de 200 grammes, un cocktail dînatoire entre 500 et 700. On essaie vraiment de trouver un équilibre entre garder l’ADN de ces cuisines sur la générosité et le partage. Évidemment, il ne faut pas qu’on fasse n’importe quoi. L’idée, c’est d’apporter la juste quantité pour l’événement. Mais on n’a pas envie que les gens repartent en ayant faim. On a envie qu’il y ait une vraie expérience qui a du goût, qui est généreuse, de passer à une brochette népalaise à un caviar d’aubergine iranien, à un caverne d’aubergine syrien, à une salade du Bangladesh, à des betteraves rôties au curry du Sri Lanka. C’est important pour nous parce que ça montre la diversité de la migration, ça montre la diversité de notre projet. Ça met toutes ces cuisines sur un pied d’égalité aussi. Et en plus, en traiteur, en buffet, en cocktail, ça marche super bien.
C’est vraiment un format qui se prête à valoriser plein de cuisines en même temps.
VOIX OFF : La matinée est déjà bien entamée. Quelques plats mijotent encore comme les légumes Kodra za’atar, ou le saumon au curcuma du Mahi saabzi polo mais l’essentiel des commandes a déjà été emballé par l’équipe du dispatch, dans des contenants recyclables… et en sucre de canne, s’il vous plaît ! J’en profite pour monter prendre un café avec Louis, et en apprendre un peu plus sur les origines du projet.
Audrey
Est-ce que tu peux nous raconter la naissance de ce cuistot migrateur ?
Louis
À la base, on est deux associés, Sébastien Prunier et moi-même, Louis Jacquot. La naissance, l’idée a germé en 2015. La crise migratoire devient dont les médias s’emparent beaucoup. On trouve que c’est toujours abordé sous un aspect très négatif, où les migrants sont vus soit comme des victimes, soit comme une menace. Et nous, on s’est dit : Bah non, on va essayer de montrer qu’il y a du positif dans tout ça.
On va essayer de montrer qu’encore une fois, ces personnes qui souvent arrivent ici complètement par hasard, après des périples difficiles, ont vraiment envie, encore une fois, de s’intégrer, de participer et ont envie de partager quelque chose.
Audrey
Que disent les clients quand ils découvrent l’histoire derrière les plats que vous proposez sur le menu ?
Louis
Les clients nous demandent souvent qui sont les chefs et surtout s’ils étaient chefs dans leur pays. Ils ont vraiment envie de savoir qui il y a derrière, derrière chacun de ces plats. Et effectivement, c’est rarement des chefs, des gens qui étaient cuisiniers ou cuisinières dans leur pays. C’est plutôt des personnes qui ont des trajectoires de vie très différentes qui sont d’origine sociale différente, de religions différentes, de langues différentes, qui étaient pour certains militaires, certains chauffeurs-livreurs, certains ont été réduits en esclavage. Des trajectoires de vie très différentes, mais toujours avec cette envie de partage, cette envie de s’intégrer, cette envie de travailler et vraiment cette envie de faire découvrir.
Audrey
Qu’est-ce que ça veut dire d’être réfugié en France aujourd’hui et quelle réalité cela recouvre ?
Babacar
C’est vrai que derrière ce mot, il y a plein de réalités. Même quand nous, on a commencé, le projet, on n’y connaissait rien. On ne savait même pas qu’on pouvait employer des personnes réfugiées. Donc c’est un mot qui, évidemment, peut venir un peu à tort et à travers. En vrai, ça désigne vraiment une réalité. C’est des personnes qui – c’est reconnu par une convention internationale – et c’est donc des personnes qui demandent l’asile dans leur pays d’arriver parce que leur vie est menacée dans leur pays. Et on leur dit : D’accord, on croit ton histoire et donc on te donne un permis de séjour et de travail qui te permet ensuite d’être intégré et de travailler. On a rencontré beaucoup de personnes qui n’arrivaient pas à passer, justement, la case intégration parce qu’un niveau de français trop bas, parce que leurs qualifications dans leur pays n’étaient pas reconnues ou pas adaptées pour ici, des personnes qui, parfois, n’avaient pas vraiment travaillé dans un cadre professionnel classique comme on l’entend. Des difficultés à passer la deuxième étape. Et des personnes qui entrent en dépression à cause de ça. On a eu plusieurs personnes en bas, je sais, avant d’arriver chez les cuistots, ils devenaient fous chez eux.
Louis
Et c’est ça qu’on essaye de faire, c’est justement, d’être un peu le tremplin vers l’intégration. Ici, au sein du traiteur, avec l’emploi, en CDI, mais aussi avec l’école, puisqu’en fait, plus on agrandi au sein du traiteur, plus on a vu qu’il y avait énormément de candidats qui avaient envie de travailler en cuisine, mais qui n’avaient pas le niveau suffisant en français ni en cuisine. Et donc, on a créé cette école de cuisine pour justement leur permettre d’acquérir une formation, un diplôme de commis de cuisine avec une pédagogie unique autour du français et de la cuisine pour leur permettre ensuite de trouver un emploi dans la restauration et faire carrière dans la restauration. On est super fiers de ce qu’on a fait parce que non seulement on a un lieu qui est incroyable à Montreuil, mais on a formé 350 personnes à date. On a plus de 40, en De 40 et 50 pour cent, je n’ai plus le chiffre exact, de femmes, ce qui est une très belle réussite. Et un taux de retour à l’emploi qui est vraiment très bon, avec plus de 70 pour cent. Et des retours employeurs qui sont excellents avec certains employeurs qui ont déjà pris 5, 10 personnes en CDI.
Audrey
Est-ce que pour toi, tu aurais un mot de fin à nous confier quelque chose, à nous conseiller ?
Louis
Pour toutes celles et ceux qui hésiteraient à employer des chefs réfugiés ou de personnes réfugiées, je leur dirais juste: Foncez, réfléchissez pas. C’est des personnes qui ont tellement à cœur de travailler, de s’intégrer, qui en veulent. Ils sont ultra engagés. J’ai envie de dire: Allez-y, vous allez vivre une aventure géniale.
VOIX OFF : Quand la cuisine mêle goût et engagement, on tient là les bons ingrédients d’une recette réussie. Mais pour Louis, ce n’est pas fini, la pause est finie et il lui reste l’étape la plus difficile en cuisine.
Audrey
C’est le moment où il faut goûter ?
Louis
Il faut toujours goûter. Je suis en train de goûter le choimen, qui est un plat de chef Dargal, une recette tibétaine.
C’est des nouilles sautées aux légumes, notamment des carottes, poivrons et du pak choï aussi, un petit chou. Et avec une sauce soja noire, un peu de vinaigre de vin. Ça fait partie des plats qu’on propose, notamment en plateau repas.
Audrey
Et là, t’es content ?
Louis
Je suis content, c’est bien. C’est bien assaisonné, bien enrobé. C’est un bon équilibre entre les légumes et les nouilles. Et les nouilles bien cuites.
Louis
Et bah voilà, On a fait tout le tour des cuistots migrateurs, du labo et du projet.
Audrey
Merci beaucoup,
Louis
à bientôt.
Audrey
À bientôt, au revoir.
VOIX OFF : Merci aux équipes des cuistots migrateurs pour leur accueil !
Cette seconde saison d’Entrez, Plat, Dessert est réalisée en partenariat avec Eureden
Foodservice.
Journaliste : Audrey Largouët
Réalisation et mix : Benjamin Macé
Production : LACME